Par Vincent Simon, responsable de projet à Economie Suisse.
Ce débat dans lequel Vincent Simon intervient est à mon avis capital dans la problématique économico-politique. C'est en Suisse celui actuel de Genève qui souhaite imposer, sous la pression de Bruxelles, toutes ses entreprises au taux de 13%. Celui aussi du canton de Vaud, qui dit tout ce qu'apporte en terme économique les quelques dizaines d'entreprises exonérées de taxes. Il raisonne là, non pas en recettes fiscales directes, mais en apports économiques indirects qui sont bien plus considérables. C'est bien sur le même débat que celui actuel en France, du pouvoir socialiste qui pense, bien à tord, que les riches ne servent à rien et que ce ne sont pas les entrepreneurs qui créent des emplois mais l'Etat par une gestion "éclairée" et donc qu'il importe que la "collectivité" encaisse une part de plus en plus grande de leurs profits. C'est bien à ce problème de savoir qui crée la richesse des Nations qu'il importe que les citoyens se posent et y apportent des réponses au delà des clichés que véhiculent les vulgates collectivistes.
" La deuxième réforme de l’imposition des entreprises suscite beaucoup d’irritation depuis deux ans. On l’accuse de provoquer des pertes fiscales abyssales. Le Conseil des Etats examinera lors de la session d’hiver des motions remettant en question la nouvelle législation.
Il n’y a pourtant pas urgence à revenir sur cette réforme, d’autant qu’elle a eu des effets positifs qu’il s’agirait d’analyser aussi.
Lorsqu’une réforme fiscale est mise en discussion en Suisse, le scénario est inévitablement le même: on craint les «cadeaux fiscaux injustes», la «menace sur la solidarité» ou l’«appauvrissement de l’Etat». Une des difficultés réside dans le déséquilibre même des prévisions qui peuvent être faites. D’un côté, il est assez facile d’analyser l’effet statique d’une réforme, en partant de l’idée qu’une baisse d’impôt d’un montant «x» équivaut mécaniquement à une baisse des recettes fiscales d’un montant «y». De l’autre côté, il est impossible de prédire précisément les effets positifs générés par une baisse d’impôt au travers, notamment, de l’augmentation des investissements ou du nombre d’implantations de nouvelles entreprises. Ce déséquilibre explique la difficulté à «vendre» une réforme face aux tenants du statu quo, qui ont beau jeu de ne parler que de pertes.
Rappelons-nous à titre d’exemple la première réforme fédérale de 1997 (qui a amélioré les conditions-cadres des holdings): à l’époque, la Confédération annonçait des pertes fiscales de plus de 400 millions de francs. Mais elle comptait aussi sur l’amélioration de l’attractivité de la Suisse pour combler la différence. Quelques années après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, on cherchait en vain les pertes fiscales dans les comptes. En vain, car les recettes en provenance des entreprises avaient au contraire fortement augmenté, passant de 3,7 milliards en 1997 à 5,9 milliards en 2001. La raison en était simple à comprendre: la réforme avait entraîné l’installation en Suisse de nombreuses holdings.
Dans le cadre de la 2e réforme de l’imposition des entreprises, c’est surtout l’introduction du principe de l’apport de capital (PAC), entré en vigueur en 2011, qui suscite la critique. En résumé, les apports de capital, par exemple les agios, peuvent désormais être remboursés en franchise d’impôt, alors qu’auparavant ils étaient imposés comme des bénéfices (qu’ils ne sont pas). Il a été reproché au Conseil fédéral d’avoir grossièrement sous-estimé les diminutions de recettes fiscales auxquelles il fallait s’attendre. Des demandes sont pendantes au parlement pour questionner la réforme.
Le reproche concernant les recettes fiscales mérite plusieurs réponses. Tout d’abord, il ne faut pas confondre perte fiscale avec diminution des recettes. Avant la réforme, les restitutions d’apport de capital étaient peu nombreuses, du fait même qu’elles faisaient l’objet d’une fiscalisation anticonstitutionnelle dissuasive. Désormais exonérées, ces restitutions atteignent des dizaines de milliards de francs. Mais on ne devrait pas pour autant parler de pertes, car on ne peut pas perdre plus que ce que l’on gagnait précédemment. Et c’était peu de chose.
Certes, les sociétés peuvent aujourd’hui substituer le versement de tout ou partie de leurs bénéfices imposables par des versements d’apports non imposés. S’il en va ainsi, le fisc enregistre une diminution temporaire de ses recettes. Mais il n’y a pas de tour de passe-passe qui permettrait de faire disparaître ces bénéfices de la circulation. Ils seront imposés à leur tour ultérieurement.
Le PAC était propice aux exagérations. Les médias et les opposants à la réforme s’en sont donné à cœur joie: on a évoqué des milliards de pertes, et même le chiffre énorme de 47 milliards de francs!
Plus sérieusement, les estimations relatives aux effets sur les recettes restent entachées d’incertitudes. Ainsi, pour 2011, année d’introduction du PAC, la Confédération inscrivait au budget de l’impôt anticipé un recul de 1,2 milliard de francs… pour constater en fin d’année qu’il n’en était rien. Pour l’impôt sur le revenu, Berne évaluait les diminutions de recettes à environ 300 millions de francs par an, dont un tiers pour la Confédération. Ces 100 millions de francs, ce n’est certes pas rien, mais il n’y a pas de quoi crier au loup non plus.
Et pourtant il y a malaise! Non pas tant en raison de ces diminutions de recettes, mais bien plutôt parce que les comptes fédéraux continuent heureusement d’afficher des chiffres noirs, au lieu d’être dans le rouge comme on pourrait s’y attendre au vu de toutes ces annonces. L’an passé, la Confédération a enregistré un excédent de 1,9 milliard de francs; rebelote en 2012, avec 1,4 milliard de francs selon les dernières projections.
Il y a malaise aussi dans la mesure où l’on ne prend pas en compte les aspects positifs des réformes. La 2e réforme de l’imposition des entreprises, comme la 1re, a amélioré l’attractivité de notre pays et suscité l’implantation de nombreuses sociétés. Celles qui se sont établies en Suisse après le vote de 2008 n’ont pas seulement amené des apports de capital à hauteur de 200 milliards de francs, mais aussi un nouveau substrat fiscal.
La 2e réforme de la fiscalité des entreprises ne met pas en péril les finances publiques. Il n’y a pas d’urgence à intervenir. Le Conseil fédéral lui-même, dans une réponse à une interpellation socialiste, souligne la difficulté de recueillir les données adéquates et la nécessité d’une période d’observation assez longue. En conclusion, il serait bon que le parlement se donne le temps de tirer un bilan et, surtout, que ce bilan évalue les effets positifs de la réforme en termes de substrat fiscal, d’emplois et de croissance.
Inscription à :
Articles (Atom)